Cette semaine, je suis passé à travers un bon paquet d’émotions… Ça fait des mois que je veux écrire un billet sur le nécessaire plaisir au travail (selon moi, c’est une nécessité), plaisir que j’ai eu beaucoup de misère à avoir par moments, à cause de textes parus dans les journaux, à cause de la ministre qui va à gauche et à droite, telle une girouette – je sais l’avoir déjà dit ici, et j’y ai droit, étant chez moi, parce qu’on n’est pas à l’Assemblée nationale ici ! – une girouette qui a l’air d’osciller entre différentes intentions de votes, pour plaire à Pierre, Jean, Jacques, son frère, sa soeur, son père et sa mère tout à la fois… et finissant par plaire à personne ou presque ?
Pour ceux qui me connaissent, je suis du genre à ne presque jamais baisser les bras. Assez grande confiance en moi malgré les aléas parfois assez durs à avaler qui peuvent occasionnellement se présenter, énergie assez vive la plupart du temps et qui alimente une certaine passion, idée toujours assez claire du but poursuivi, conscience de mes limites doublée d’une volonté de les repousser toujours un peu plus loin, et par-dessus tout cela, une espèce de naïveté nécessaire à la survie en milieu parfois hostile de par les conditions pas toujours (ou pas souvent?) facilitantes qui découlent de carences structurelles assez importantes de l’institution-éducation dont on dispose ou dans laquelle on évolue tant bien que mal au fil des jours… Et de plus, par-dessus tout, une ferme volonté d’apprendre !
Je n’arrive pas à m’expliquer pourquoi, mais cette semaine, à la lecture des propos de la ministre rapportés dans les médias et aussi à la suite d’une réunion où on nous a mis au fait des «offres» (les guillemets sont très importants) gouvernementales qu’on nous fait jusqu’à présent, une très (trop à mon goût) grande déprime m’a littéralement envahi. Je ne m’étais jamais (ou presque jamais en fait) vu comme ça et je n’arrive toujours pas à comprendre totalement ce qui a bien pu se passer.
Aussi, vais-je tenter de l’expliquer un peu ici… de le creuser un peu.
Le sentiment général qui se dégageait de ces impressions en était un d’écoeurite aigüe. Je me disais: non mais, on nous prend pour des tartes ou quoi ?
Au cours des 17 dernières années, nos conditions de travail ont empiré, c’est d’une évidence même. Quiconque ne sait pas cela vit sur une autre planète ou se fout carrément de ce qui se passe avec ses enfants dans les écoles… et tout ça me laisse perplexe si la tendance se maintient pour les 17 prochaines années. Au rythme où vont les choses, on va finir par arriver à quelque chose de profondément inhumain…
Cette espèce de non-considération face aux profs, essentiels à une société comme beaucoup d’autres métiers d’ailleurs, m’a littéralement sidéré. On dirait que les profs, ce ne sont que de bébêtes exécutants qui doivent (en théorie, du moins) faire ce que dit la ministre au gré de ses plans tous plus nombreux les uns que les autres, tous plus imprécis et de dernière minute aussi. Visiblement, des plans qui arrivent d’en-haut, très haut même (je soupçonne beaucoup de gens du ministère de ne même pas être au courant à l’avance… !), des plans qui avancent des choses et qui prouvent hors de tout doute une méconnaissance certaine du milieu, de la “chose éducative” et des conditions dans lesquelles on doit exercer notre métier ou profession… (En fait, être enseignant ou prof, c’est probablement ni un métier ni une profession… une vocation, avec tout ce que ça implique d’affectif non mesurable, non quantifiable, n’en déplaise aux gestionnaires-comptables – oui il y en a…)
Les profs, ces éternels incompris, alors ? Peut-être… Peut-être aussi parce que tout le monde se dit capable d’éduquer, puisque parents d’enfants. Le parent éduque, oui, (ou devrait à tout le moins, car certains ne le font pas ou le font très partiellement, – d’autres le font, mais l’enfant répond moins bien, disons…), mais le pédagogue fait apprendre, ça doit être sa spécialité, sa spécificité…
En cela, le prof-pédagogue a une énorme responsabilité pour l’avenir des gens de ce pays (et de ce pays tout court) dans lequel il exerce sa profession. MAIS on ne le laisse pas exercer pleinement et LIBREMENT cette responsabilité ou cette “fonction”. Au contraire, on tente de l’enfermer dans une liste de choses à faire, auxquelles se conformer, de suivre un programme qui change au gré de la météo ministérielle (je parle de la ministre ici, pas nécessairement du ministère: nuance !), bref, d’être un bébête exécutant comme je disais ci-dessus, un petit esclave, relent possible du prescripteur-esclave engagé par le riche romain pour garder éduquer ses petits (?)…
(Parenthèse ici, une autre (!): les syndicats, de par leur approche ouvrière (je n’ai rien contre les ouvriers!), contribuent probablement sûrement, malgré eux (?), à cette non considération professionnelle en poussant les conditions de travail à parfois devenir abrutissantes (le mot est peut-être fort) au sens où on doit exécuter certaines choses, ou être présent de telle heure à telle heure… pour tenter de quantifier le coeur qu’on met à l’ouvrage. Certaines ententes négociées finissent par avoir l’air de définir trop de détails et de faire perdre une certaine autonomie aux profs, malgré la volonté contraire. – Paradoxe ?)
Ou bien encore, on tente d’enfermer la responsabilité dans une sorte de gestion-par-les-résultats (chiffrés SVP !) en tentant de rendre imputable le prof et lui seul (?) concernant les résultats de tous ses élèves. Je regrette, mais ici, il devrait s’agir d’une responsabilité partagée entre les profs, oui, mais aussi la direction d’école et la commission scolaire qui fournit le lieu et les conditions facilitants ou pas, les parents et, surtout, le jeune lui-même !!! Ajoutons à cela le ministère de qui découle les programmes de formation.
On ne peut pas enfermer dans des chiffres (réflétant réellement les résultats d’une personne ?) la fonction d’enseigner, de faire apprendre, d’être pédagogue… L’affectif, qui est un facteur primordial et oublié par tous les comptables (je ne les déteste pas, mais leurs méthodes sont incompatibles avec l’affectif, par définition), fait partie de l’acte pédagogique, on ne peut le nier ou l’ignorer: c’est un non-sens en soi, alors.
Avec tous ces éléments de pression, on peut maintenant comprendre que les profs se sentent de plus en plus infantilisés, abrutis, démotivés ou démoralisés devant tant de choses indiscibles, indescriptibles, incompréhensibles, et surtout autant éloignées de l’acte pédagogique lui-même.
Comme le disait si bien Brigitte Friset dans sa lettre à la ministre, publiée dans Le Devoir du 19 mars 2010, «Laissez-nous, sans mépris comme vous le faites, améliorer ce sur quoi nous travaillons sans vous depuis dix ans déjà!»
Cette revendication d’une autonomie professionnelle perdue ou largement bafouée, je la fais mienne également. Vivement qu’on finisse par comprendre, au Québec, qu’une pédagogie efficace ne se calcule pas, mais se vit au quotidien avec nos élèves à nous, les profs, de par la relation qu’on installe avec eux et qu’on vit, puis, par la suite, des apprentissages qu’on leur fait vivre, non pas des apprentissages prémâchés, relents d’un Pablum pédagogique depuis longtemps révolu qui n’instruit pas mais abrutit et infantilise, mais des apprentissages pleinement réalisés en mettant en relation divers éléments de notre réalité complexe (par définition…) à travers laquelle nous devons évoluer, avancer, continuer d’apprendre en continu.
Sinon, on recule et on meurt, comme société, point final.
Investissons sur notre avenir à tous, ça commence drôlement à presser, à mon humble avis.